Dans ses Confessions d’une mangeuse de viande, Marcela Iacub, juriste spécialiste des questions de bioéthique, avoue que, longtemps, elle a été carnivore. Jusqu’au jour où elle a entendu bêler les côtelettes… « Une bête crie dans notre assiette et, pour qu’elle y arrive, il a fallu lui ôter la vie. Par le fait même de mettre ce morceau de viande dans votre bouche, vous participez à ce meurtre. » L’Américain Jonathan Safran Foer, auteur de Faut-il manger les animaux ?, le livre événement qui a relancé le débat sur les horreurs de l’industrie agroalimentaire, est lui aussi devenu végétarien, tout en plaidant pour un élevage responsable, soucieux du bien-être des animaux et de l’environnement.
À lire
Confessions d'une mangeuse de viande de Marcela Iacub (Fayard, à paraître le 1er avril).
Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer (Éditions de l’Olivier, 2011).
Dictionnaire horrifié de la souffrance animale d’Alexandrine Civard-Racinais (Fayard, 2010).
Actuellement, la réalité est terrifiante : poussins hachés menu, poulets ébouillantés vivants, porcs mutilés, poissons d’élevage dévorés vivants par les poux de mer… Tous sont malades, gavés d’antibiotiques nocifs pour notre propre santé. Dans un souci de rentabilité, les éleveurs créent des races dégénérées, plus sensibles au stress – donc qui souffrent plus. Aux États-Unis, 99 % des bêtes vivent de leur premier à leur dernier jour un véritable enfer, confinées dans des espaces exigus, irrespirables, traitées et abattues d’une manière parfois ouvertement sadique. Les éleveurs qui aiment leurs bêtes finissent quand même, presque toujours, par les conduire dans des abattoirs, où leur bien-être n’est pas respecté. Faute de structure plus humaine.
Sommes-nous mieux lotis ? Pas vraiment, à lire le Dictionnaire horrifié de la souffrance animale de la journaliste Alexandrine Civard-Racinais. Selon un rapport de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de 2009, 97 % des carcasses de gros bovins présentent des meurtrissures provoquées par des bâtons, preuves qu’ils ont été frappés avant d’être tués. Conclusion de l’auteure : « Dans l’élevage et l’abattage industriels, en dépit de quelques avancées, impossible d’assurer le bien-être des animaux. » Dans ce domaine, indiscutablement, nous sommes inhumains.
Nous sommes aveugles
Comment pouvons-nous continuer à manger de la viande sans en être horrifiés ? Parce que nous sommes carnivores ? En fait, en dépit de ce goût de la chair qui nous rapproche des fauves, être mangeur de viande n’est pas si simple, psychiquement parlant. Nous devons nous aveugler. Déjà, le mot « viande » nous sert à refouler – à oublier, à ne pas voir – que c’est un être vivant, un gentil petit lapin ou un cochon rose que nous dévorons. Ensuite, le mécanisme psychique du clivage nous permet d’opérer une coupure radicale entre le veau abstrait, chair rosâtre posée sur l’étal du boucher, et l’image du veau concret, mignon petit être sensible.
Cliver, séparer le « veau viande » du petit veau de la ferme, être vivant, est d’autant plus facile que ces animaux que nous mangeons demeurent invisibles et anonymes. Nous ne voyons ni le couteau ni le sang, nous n’entendons pas les cris de terreur et de douleur. Selon Marcela Iacub, le but premier des abattoirs est d’ailleurs « de rendre opaques les supplices que l’on inflige aux animaux, d’empêcher de comprendre ce que signifie pour un animal ne pas vouloir mourir […] ».